"... une passion sans exclusive pour les Pyrénées ossaloises et tout ce qu’elles contiennent, des rochers aux orages, des plantes les plus discrètes aux isards, des guides aux bergers botanistes et aux Aragonais, des chemins qui grimpent aux promenades horizontales ..."
C’est de manière indirecte et post mortem que le comte de Bouillé (1819-1906), l’un des pyrénéistes les plus attachants, « rencontre » Houbigant, de 29 ans son aîné. Tout les rapproche, au delà du temps : la santé chancelante d’une épouse aimée ; une passion sans exclusive pour les Pyrénées ossaloises et tout ce qu’elles contiennent, des rochers aux orages, des plantes les plus discrètes aux isards, des guides aux bergers botanistes et aux Aragonais, des chemins qui grimpent aux promenades horizontales ; une curiosité insatiable et l’attention à l’autre ; le goût du partage des trésors et des émotions rapportés d’en haut ; la passion pour l’histoire naturelle et la pratique du dessin et de l’aquarelle. C’est peut-être en ces deux derniers domaines que Bouillé surpasse Houbigant, son pinceau est imbattable quand il est question d’exprimer la physionomie d’une montagne ou d’une fleur des Pyrénées.
Tous deux sont surtout des inconditionnels des Eaux-Bonnes.
C’est une lettre de Bouillé, soigneusement insérée entre les pages 445 et 446 qui a conforté notre intuition que « ces deux-là » ne pouvaient se manquer. Il s’agit d’un courrier du comte à François Saint-Maur, disant qu’il est à la recherche d’une information concernant la Ramondia pyrenaïca dont Houbigant avait signalé, dans son manuscrit, la présence inattendue en vallée d’Ossau.
Rappelons que Madame François Saint-Maur était la belle sœur d’Houbigant, et que le Saint-Maur auquel s’adresse Bouillé est probablement son neveu par alliance. Ladite lettre a été très opportunément placée en regard de la Ramondia « recueillie par M. Houbigant dans la forêt du Pic du Midi d’Ossau, (le) 26 août 1842 ».
Descendant d’une très ancienne famille française, Bouillé fréquente les Pyrénées depuis 1861 et s’installe à Pau en1865, recherchant dans le climatisme et les vertus des eaux minérales proches, un contexte favorable à la santé fragile de sa femme. Ainsi que l’écrit très spirituellement Beraldi, il se prend de passion pour un petit morceau des Pyrénées : “Formez un quadrilatère en joignant les quatre points du Ger, du Gabizos, du Balaïtous et du pic d’Ossau, là notre pyrénéiste est chez lui, dans sa propriété, dont il connaît, dont il aime avec passion chaque hectomètre carré, dont il fait le parc de ses trois filles, vaillantes montagnardes qui l’accompagnent dans toutes ses courses”.
Montagnard et scientifique amateur, cultivé et averti, il s’intéresse à tout : géologie, faune, flore, histoire locale, récits de chasse ...
Montagnard et scientifique amateur, cultivé et averti, il s’intéresse à tout : géologie, faune, flore, histoire locale, récits de chasse (il est lui-même un fin chasseur et un pêcheur confirmé), et légendes, toponymie. Il exprime son adhésion à la nature pyrénéenne par l’écrit (ouvrages et articles), la peinture et le dessin (paysages, scènes, planches botaniques), la collection (herbier, fossiles, œufs, oiseaux empaillés), le moulage ou la confection de reliefs. Tous ces savoirs rentrent souvent en complémentarité dans les récits d’excursions illustrés qu’il confie à partir de 1872 au Bulletin de la Société Ramond, et de 1883 à 1889 à l’Annuaire du CAF.
De même il adhère à de nombreuses sociétés savantes, publiant dans leur organe de liaison : Société Ramond, Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau dont il est le président en 1873, Société d’Histoire naturelle de Toulouse, Société botanique de France, Club alpin français, etc.
En ce qui concerne les Pyrénées, son style est très reconnaissable : aplats limpides à l’aquarelle, sommets aériens aux lignes accentuées, étirées en hauteur, ...
S’il peut apparaître brillant autodidacte sur le plan artistique, il a toutefois acquis ou parfait une solide formation au dessin d’observation en Italie aux côtés du comte de Chambord, dont il est le compagnon d’études et de voyage, dessinant sur le motif à Rome et à Venise, et détaillant le costumes des Italiennes de divers villages. Aquarelliste de talent, il manipule aussi le crayon et la plume avec beaucoup d’aisance et d’humour. En ce qui concerne les Pyrénées, son style est très reconnaissable : aplats limpides à l’aquarelle, sommets aériens aux lignes accentuées, étirées en hauteur, vues souvent animées par les corolles rayées bleu et blanc des jupes de ses trois filles, encadrées de leurs guides. Il travaille d’un crayon vif et d’un pinceau alerte sur le motif. Ses études rapides plus ou moins achevées comportent suffisamment d’éléments pour servir de bases à des dessins d’illustration finement travaillés à la plume.
D’un point de vue montagnard, l’exploit qui a consisté à faire le Balaïtous avec ses trois filles est resté célèbre, de même que ses courses sur la cime délicate du Pallas. Il est à l’origine de la création du refuge d’Arremoulit, au cœur de son massif préféré.
Parmi ses principales publications, nous retiendrons : Guide des Eaux-Bonnes, Excursions à pied par Jam (1868), Guide de Pau aux Eaux-Bonnes (1869), Guide des Eaux-Bonnes et des Eaux-Chaudes (1883), L’Ours dans les Basses-Pyrénées (1882), Bat-Laetouse et Marmuret (1883), Album du Guide Jam (1896). Ce dernier ouvrage réunit tout l’œuvre d’illustration du comte.
Hélène Saule-Sorbé, Professeur des Universités en Arts plastiques
Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3
Pour en savoir plus
- Fonds : un bel ensemble d’aquarelles et de dessins à la plume au Musée pyrénéen à Lourdes.
- Hélène Saule-Sorbé, Pyrénées, Voyage par les images, Ed. de Faucompret, Serres-Castet, 1993.
Pyrénées. Album du Guide Jam, reprint E.S.P.E.R., Toulouse 1989. - Les Pyrénées du Conte Roger de Bouillé, présentation d’Hélène Saule-Sorbé et Marcel Saule Éditions du Pin à Crochets, Pau 1999.