Le voyage, une expérience spatiale et culturelle
Le voyage, une expérience à partager
Tout autant féru de lectures qu’avide d’images, il est représentatif d’une classe bourgeoise qui, portée par la vogue romantique des nouvelles destinations que sont les montagnes et les provinces de la France, et mue par le désir de partager ses impressions, s’adonne avec bonheur à la rédaction d’un journal et à la collecte de tout élément susceptible de l’enrichir.
Il faut signaler, dans ce sens, que la parution à partir de 1820 des imposants volumes des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France du Baron Taylor, avec leurs grandes planches lithographiées, nées des crayons les plus virtuoses de l’époque, constituèrent un formidable stimulant. Les quatre tomes – dont deux réservées aux paysages – intitulés Languedoc vulgarisent de manière magistrale de 1833 à 1840 les sites pyrénéens les plus recherchés. Leur impulsion, quant à susciter l’envie de voyager et une demande d’images croissante, est rapidement relayée par d’autres éditeurs parisiens, puis locaux.
Les Pyrénées à l’épreuve de la lithographie |
Images mécaniques et œuvres originales, rencontres d’exception |
C’est alors l’âge d’or de la lithographie romantique : les Pyrénées, fortes d’un parfum d’exotisme lié à la proximité de l’Espagne – « cette Afrique qu’on nomme Espagne » écrit Jules Michelet – attirent à elles les grands du monde, les familles fortunées et une kyrielle d’artistes. Parmi ces derniers, s’activent les dessinateurs de vues, professionnels et amateurs. C’est pourquoi, prélevées dans des albums édités pour les touristes, ou acquises à la pièce, nombre d’estampes accompagnent le récit d’Houbigant, faisant écho aux motifs paysagers les plus pittoresques et attractifs des Basses-Pyrénées. Jalonnant la route de la vallée d’Ossau depuis Pau, la montée aux Eaux-Bonnes et son environnement naturel et humanisé, ce sont ponts rustiques, cascades de toutes sortes, promenades aménagées, arbres vénérables, études de costumes, représentations des sommets sourcilleux de la vallée d’Ossau comme le Pic du Midi d’Ossau et le Pic du Ger, mais encore vues multiples de la petite ville d’eau dont l’écrin encaissé mettra en 1845 le grand Eugène Delacroix au désespoir, etc. Nous y retrouvons parmi d’autres la finesse d’observation de Joséphine Sarazin de Belmont, de dessinateurs de vues comme Louis-Julien Jacottet ou Edouard Paris, ou la vision à la fois moderne et romantique de Victor Petit, qui affectionne les vues plongeantes autant que l’étirement des cimes. |
A cette moisson, d’humeur « antiquaire » comme le baron Taylor, Houbigant ajoute de nombreux portraits, gravés ou lithographiés, des grands de l’histoire de France, tel Henri IV, à propos duquel il commence à réunir la matière iconographique et textuelle, pour un ouvrage illustré consacré à sa jeunesse et au cadre de son enfance. Nous y croisons aussi ceux, insurpassables, que la photographie commence à mettre sur le marché de l’art à partir de 1839. Ainsi, dans le premier volume, avons-nous le privilège de découvrir quelques-uns des magnifiques portraits pris par l’un des acteurs distingués de la photographie dite « primitive », Jean-Jacques Heilmann (1822-1959), arrivé à Pau, capitale du climatisme, en 1852, dans l’espoir de juguler la progression d’une tuberculose. C’est bien en chair et en os que le guide Lanusse, fort prisé aux Eaux-Bonnes, a posé devant la chambre noire, seul ou entouré des siens. De telles épreuves constituent un des trésors du Journal. |
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Mais encore, en homme de talents diversifiés, Houbigant adjoint des dessins au crayon de sa propre main, en général dévolus à l’environnement naturel ou bâti : vues urbaines, façades d’hôtels, ruines, monuments ou habitat vernaculaire, ainsi que des études de fleurs des Pyrénées aquarellées par sa femme. Sa timide esquisse du Saxifrage longifolia voisine notamment avec la magnifique eau-forte extraite des Figures de la Flore des Pyrénées de Picot de Lapeyrouse (1795). A cela s’ajoutent des cartes des zones traversées ou des itinéraires parcourus que l’auteur découpe ou plie sans état d’âme, afin qu’elles tiennent dans la page. |
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Un des autres trésors de ce passionnant ensemble consiste en la présence de deux esquisses prises sur le vif au crayon et à la gouache, représentant des Aragonais. « Aussitôt vu, aussitôt empoigné » dixit l’auteur lui-même, Eugène Devéria, artiste virtuose qui avait ravi la médaille à Delacroix lors du Salon de 1827 à Paris, et avec lequel Houbigant s’est lié d’amitié. Autre connaissance fort enrichissante pour notre touriste et sa femme éprise de botanique, que celle de Pierrine Gaston-Sacaze, le berger-botaniste de la vallée d’Ossau, dont il commande à Devéria le portrait dessiné. |
Des Pyrénées ossaloises, Houbigant a réuni dans son monumental Journal la quintessence : les éléments susceptibles de procurer du bonheur, du lien avec l’autre, d’accroître la connaissance et de rendre hommage à notre belle région. Les voies croisées du savoir, de l’art et de l’excursion qu’il a tissées, retrouvent aujourd’hui une actualité vive à travers la valorisation touristique et patrimoniale du piémont et de la moyenne montagne. Amateurs éclairés, institutions et associations, qui aiment à retrouver et à enrichir les repères du passé, s’attachent à diffuser le goût de la botanique et à réhabiliter les itinéraires de la culture pyrénéiste.
Si la démarche d’Houbigant est le produit d’une époque, le romantisme aux attaches rousseauistes, elle préfigure d’une certaine manière le chemin à suivre : jouir de la montagne et de ses inépuisables richesses.
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Traducido por Maéva Rose, Universidad de Pau, 2017
Hélène Saule-Sorbé, Professeur des Universités en Arts plastiques
Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3